Détente

Quelle soirée magnifique que celle qui s'était écoulée! Non seulement la Hll avait supprimé de la surface de ce monde magnifique trois vermines humaines abruties par l'alcool, mais elle avait eu droit à un beau combat contre un aspirant au Cercle du Graal. Certes, elle n'était pas de taille à se frotter contre de gors bestiaux tels que leur cheftaine, mais le menue fretin lui permettait de garder la main de façon plus amusante qu'en s'entraînant seule contre des mannequins d'entraînement. D'autant plus que la chair de ce frais jeune homme était tendre et appétissante mais pas trop molle, juste assez ferme pour bien la mastiquer entre les dents et en faire sortir toute la saveur, tout le jus, un vrai régal! Le pauvre garçon n'était pas totalement refroidi lorsque Neferty avait commencé à planter ses dents dans son bras juste pour avoir un avant-goût, et le dernier cri de douleur qui avait échappé au futur cadavre avait résonné comme la plus douce des mélodies aux oreilles de la créature assoifée de meurtres et de carnage.

Véritable ogre, il était difficile d'imaginer la frêle jeune fille se repaître comme une morphale d'humanoïdes encore à l'aube de leur vie. Mais c'était autant d'années en moins pour ce futur tueur à exterminer ses semblables. Décidément, cette secte de fanatique avait la tête à l'envers: c'était la seule explication possible quant au fait qu'ils se proclament supérieurs aux races peuplant Adhénor bien avant leur arrivée. Ils avaient néanmoins une utilité: celle de garde-manger ambulant, accroissant les réserves de viande de sa belle planète. Commandant un verre d'Aple_rien de tel pour faire passer les plus gros morceaux moins faciles à digérer_ elle observa les divers clients. Bien évidemment, la plupart appartenaient à son clan, et elle était en sécurité dans cet endroit, qu'elle considérait comme son foyer, l'ADh étant sa seule famille, à défaut d'en avoir connu d'autres.

La Hors-la-lois s'immergea dans la contemplation du liquide qui emplissait son verre, faisant tournoyer pensivement celui-ci entre ses doigts fins. Sa sortie tumultueuse dans le dédale de ruelle l'avait fourbue, et elle méritait amplement ce moment de détente. Fort heureusement, ces rixes lui avaiet permis de se défouler, de se vider le crâne, de ne plus penser qu'elle n'avait justement rien à se rappeler, aucun souvenir à faire ressugir de ce néant qui restait désespérément obscur, nulle information ne venant apporter un quelconque éclaircissement quant à son amnésie. Faisant descendre la boisson le long de son gosier asséché, Neferty redoutait de voir l'Ennui pointer le bout de son nez, et avec lui les interrogations sans réponses. Mais elle se sentait trop fatiguée pour retourner affronter un quelconque badaud ou même un de ces illuminés de Tueur. Pourvu que quelque chose ou quelqu'un vienne la distraire et égayer cette nuit morose.

À quelques rues de là, autre lieu, autres sentiments et autres regards. Dans l'obscurité d'une ruelle une flamme illumina quelques instants les murs de pavés gris avant de s'éteindre de nouveau et de laisser place à un bout rougeoyant à peine remarqué par les passants pressés de la rue principale.

Accroupis sur une caisse de gros bois noirs et vermoulu qui servait avant pour les Dock du côté de la mer centrale et qui ne faisait maintenant que décorer l'arrière boutique d'un vieux magasin de nourriture maritime, Sïan retira sa cigarette d'entre ses lèvres. La tenant entre deux doigts, il exhala un long nuage de fumée avant de tourner le visage vers le corps du quidam qui jonchait le sol. Les yeux encore grands ouverts et humides d'avoir pleuré, baignant dans son sang et la main désespérément tendue vers la rue adjacente. Être tué à quelques mètres d'un potentiel sauveur. Le Boucher ne trouvait plus goût maintenant que dans les violences où les victimes voyaient leur espoir de survie si proche, mais pourtant hors d'atteinte.

« Très bonnes, tu permettras que je les garde ? »

Il désigna le paquet de clope à peine entamé avant d'éclater de rire. Il n'y avait que lui que ces petites blagues faisait rire, mais c'était largement suffisant pour le satisfaire. Se relevant sur le cube de bois, il fourra rapidement le briquet et le cartouche de cigarette dans la poche de son blouson et sauta de la caisse. Le bruit de ses bottes résonna dans la ruelle comme un craquement d'os et il s'approcha du tas de chair vide de tout esprit. Se baissant, il contempla le regard vitreux avant de passer sa main sur le visage et d'éteindre sa cigarette sur la joue du quidam dans un bruit de chair brûlée.

Poussant le vice plus loin, il s'essuya les mains dans le veston impeccable du mort, conscient du fait que s'il y avait une enquête, on déterminerait avec précision sa culpabilité. Mais peu importe il était roi, intouchable dans les crocs du Dragon Rouge. Personne n'osait approcher des lieux tant la réputation de mort qui entourait le lieux était présente. Et tout ça c'était le domaine de Sïan et des membre de l'ADH. Leur territoire privé.

Enfonçant les mains dans son manteau, il sortit de la ruelle, le visage à moitié rentré dans son col roulé. Tout Leidenstal s'éveillait au cours du printemps, mais le temps restait encore frai, ce qui poussait le Boucher à se vêtir plus chaudement.

Mais qu'importe, maintenant il rentrait, il s'était amusé quelques heures et sa soif de jeu avait été apaisée. Il avait faim aussi et jamais il ne serait abaissé à se servir dans une chair dont il n'était pas sûr.
La ruelle enfin si familière, avec ses centaines d'odeur se profila enfin et il s'y engouffra avec un plaisir non dissimulé. Bientôt la petite sonnette au-dessus de la porte tinta doucement et il put enfin goûter à la chaleur de l'intérieur du Dragon Rouge. Quelques hlls lui adressèrent un salut de la tête sans quitter leur verre de la main. Le Boucher rendit un sourire pâle à tous quand il aperçut cette silhouette familière accoudée au bord de la table. De longs cheveux d'une couleur corbeau, un corps fin et presque juvénile et les épaules à peine voûtée. Sïan s'approcha et attrapa un siège, s'asseyant dessus, il s'accouda ensuite au comptoir, cherchant à capter le regard de la jeune hors-la-loise.

« Si on m'avait dit, il y a quelques semaines, que je te verrais en train de comater au bar au lieu de te faire la main sur un pauvre humain et bien je n'aurais pas cru la personne. Amusant n'est ce-pas ? »

Il haussa un sourcil, accompagnant son discours d'un sourire qui se voulait sympathique.

« Cela faisait un moment que je ne t'avais pas vu Nef'. Toujours égale à toi-même ?

La surprise envahit les traits du visage pâle de la jeune hors-la-loise lorsque son chef s'adressa à elle. Elle qui demandait quelqu'un pour échapper à l'ennui, elle était servie: impossible de se morfondre avec Sïan. Tout le monde adorait Le Boucher à l'ADH, et ce n'était pas étonnant vu son charisme, ses actes, sa présence... tout quoi. Un léger sourire vint étirer ses lèvres après les remarques de son chef: passait-elle pour une machine à tuer ne s'accordant pas même un instant de repos? Remarquez, une telle réputation avait de quoi être flatteur au sein de son clan. "Son clan"... ces simples mots, ce sentiment d'appartenance avait quelque chose de réconfortant, comme un nid rassurant, bien qu'il fût rempli de bêtes féroces.

"Et si l'on m'avait dit que vous viendriez comater avec moi, je n'aurais nullement cru la personne non plus"

Un bref sourire, et elle reprit

"Et autrement, oui, toujours égale à moi-même. D'ailleurs, en parlant d'humains, ça fait trois vermines en moins sur cette terre. J'espère juste qu'ils auront bien souffert avant de crever comme les rats qu'ils étaient."

Discours teinté de haine, de toute cette haine grandissante qu'elle avait éprouvée au fil des rues lorsque les mains sales cherchaient à l'attraper pour satisfaire des besoins répugnants et bestiaux. S'il y avait un cas où la demoiselle arrivait à éprouver de la compassion, c'était le plus souvent lorsqu'elle voyait des enfants, orphelins ou non, qui étaient torturés par des brutes sans foi ni loi, de jeunes innocents dont on abusait la confiance. C'était ce qui la démarquait des plus fanatiques de l'ADH: ceux-ci pouvaient aussi bien s'amuser avec des gamins qu'avec des adultes, sans aucun scrupules, sans aucun remords. Cette pensée d'une innocence originelle faisait très Rousseauiste, mais si l'on considérait que tuer de jeunes humains, c'était éliminer le mal à la racine, c'était aussi éliminer de belles plantes avant qu'elles ne grandissent. Ce devait être son côté "humaniste" qui prenait le dessus, ou alors l'instinct maternel qui voulait protéger les plus faibles, de même qu'elle aurait aimé qu'on la protège. Allez savoir, quand le peu de souvenirs qui vous assaillent ne son teintés que de violence et de sang.... pas un moment de calme, pas une seule oasis où trouver refuge et repos. A présent c'était elle le prédateur, la souris s'était transformée en fauve, et ce grâce à Seel en grande partie: c'est ce qui expliquait qu'elle le considère comme une sorte de grand-frère ou d'ange gardien. Et puis, après tout, on l'avait bien prise pour sa soeur la première fois. Mais là encore, le mystère qui régnait était aussi total que les ténèbres de son histoire.[i]