A l'aube...

Combien de temps avait-elle courut dans la nuit? Elle ne serait même pas capable de le dire. Peu à peu, c'était comme si les étoiles s'était éteintes, laissant une pâleur morbide jouer avec le ciel sombre, annonçant l'approche du soleil. Gangrel ne s'était arrêtée qu'une fois arrivée vers un banc contre laquelle elle avait posé ses mains, penchée en avant par dessus le dossier, reprenant son souffle autant qu'il lui était possible. C'est tout juste si on voyait ses lèvres pâles happant l'air, le reste de son visage encore plongé dans l'ombre du capuchon rabattu sur sa tête.

Aussi lasse qu'épuisée, elle se laissa glisser jusqu'au sol. Toujours fuir, toujours craindre, c'était donc ça vivre? Elle en était lassée. Tout ce temps à survivre alors que tout ce qu'elle avait jamais aimé était loin dans son passé. Assise sur l'herbe fraîche, son souffle s'était calmé. ses mains encore tremblantes tirèrent le capuchon sur sa nuque, laissant quelques mèches noires s'échapper, encadrant ses traits si clairs. Elle ne bougeait plus, fixant le sol en face d'elle, comme si le reste du monde n'avait plus aucune intérêt. Où étaient donc passés ses frères et soeurs?

Depuis le rendez-vous qu'elle avait fui sur les toits de la ville, elle n'avait plus aucune nouvelle. Et aussi surprenant que cela lui semblait, elle en venait à s'inquiéter. Etaient-ils toujours en vie? Peut-être. Aimaient-ils toujours vivre, c'était la plus grande question. Elle, en revanche, commençait à vouloir cesser de fuir. N'y avait-il pas un autre moyen? Une possibilité d'avoir la paix?

Sans qu'elle le sache, Gangrel était épiée par un regard azur, dénué de toute animosité. D'abord incrédule de voir une de ses soeurs en ces lieux, il la regarda encuite avec cursiosité reprendre son souffle. Il l'avait vu arriver en courant... Que fuyait-elle?

Il la regarda tomber doucement à terre et retirer son capuchon, dévoilant son visage délicat, aux traits juvéniles et ses cheveux d'ébène. L'aube commençait à poindre, d'abord maladive. Mais bientôt, le ciel s'embraserait en un spectacle d'une beauté à couper le souffle.

Lassé de n'être qu'un spectateur et sentant la tension de Maeva, il se décida à la rejoindre, d'un pas léger et silencieux sur l'herbe humide de rosée. Il était habillé simplement d'un pantalon noir et d'une chemise de la même couleur ténébreuse. Il ne portait même pas une cape pour dissimuler ses ailes immenses. Il n'en avait pas besoin. Il aimait se promener la nuit et les rencontres étaient donc plus rares. Et si rencontre il y avait... Fous seraient ceux qui voudraient s'en prendre à lui.

Il arriva derrière la jeune fille et s'accroupit sans un bruit à ses côtés, mais légèrement en retrait, prêt à esquiver la moindre attaque causée par la surprise et les nerfs à vif. Les interrogations de la butterfly lui parvenaient grâce à la télépathie. Elle semblait si désemparée, qu'il n'avait pu s'empêcher de lire dans son esprit. Alors, il parla d'une voix basse et calme :

- "Oui, je suis toujours en vie et j'ai toujours envie de vivre..."

Il eut un petit sourire avant de parler à nouveau :

- "Bonjour Gangrel, cela faisait longtemps."

Les muscles de la jeune fille se tendirent brusquement, ce qui aurait dû être un cri de surprise mourut bien avant de franchir ses lèvres. Entièrement soumises à ses propres pensées, elle n'avait ni vu ni même senti son frère arriver. Pourtant, c'est à peine si elle avait bougé, tournant un regard à la fois soulagé et paradoxalement affolée. Un livre ouvert, voilà ce qu'elle devenait en ne fréquantant plus sa famille. Mais heureusement, refermer son esprit ne s'oubnliait pas, même si de loin elle ne pourrait lutter contre une intrusion, elle s'offrait au moins l'espoir de donner dorénavant un peu plus de difficulté aux autres.

"Bonjour, Beldan... Je ne pensais pas avoir de réponse aussi rapidement."

Tout aussi paradoxal que son regard, un sourire passager, à la fois ravi et sarcastique passa sur ses lèvres, juste quelques secondes. Un regard vers le Butterfly et elle se détournait, regardant cette fois un peu plus loin que le sol, plus haut aussi, là où les premières couleur du ciel commençaient à se réchauffer,

"Je suis contente que tu sois vivant, alors."

Cet air désempar n'avait toujours pas quitté Gagrel. Même si visiblement elle faisait des efforts. Comment expliquer les contradictions? Entre soulagement et reproches, la balance penchait, à sa propre surprise, plutôt vers le soulagement, au moins de ne pas être entièrement seule.

"Tu vas bien?"

Sans doute avait-elle mis plus d'intérêt dans la voix qu'elle n'aurait voulu en laisser paraître. Beaucoup de chose lui échappait malgré elle. Quittant le ciel, son regard se reporta sur celui de Beldan, comme si elle aurait voulu trouver cette réponse-ci avant qu'il n'ait à la prononcer.

Le butterfly eut un mince sourire, alors qu'il sentait la jeune fille lui cacher ses pensées.

- "J'aime les surprises..."

Il décida de s'asseoir à côté de Gangrel et continua d'un ton légèrement désolé :

- "Pardon, je ne voulais pas lire dans tes pensées... Enfin, si, mais... Tu sembles si désemparée..."

Il détourna le regard un moment et quand elle lui demanda s'il alalit bien, il plongea son regard azur dans celui de sa semblable, avant de sourire à nouveau :

- "Aussi bien que possible quand on est obligé de se méfier de tout le monde..."

Il haussa les épaules.

- "Par contre, je semble moins angoissé que toi... Qu'est-ce qui ne va pas Gangrel? Hormis que tu en as assez de fuir et que tu ne sais plus pourquoi tu dois vivre..."

Il lui adressa un nouveau sourire, un peu contrit cette fois. Il lui avouait ainsi qu'il avait lu toutes ses pensées avant de se signaler à elle.

Depuis un petite moment, Gangrel se doutait que ses pensées n'étaient pas rester secrètes, mais elle ignorait jusqu'à quel point. Maintenant, c'était un peu comme si une lueur s'était brusquement éteinte dans son regard encore pourtant innocent. Elle détourna les yeux, réflexe futile sans doute, comme si cela pouvait effacer subitement les pensées qui lui avait échappé. Elle s'empressa de répondre, sans doute un peu agressive, même si c'était plus contre elle-même que contre son frère.

"Tout va très bien."

Comme au début, elle revint fixer le sol devant elle, passant une main distraite sur l'herbe fraîche de rosée matinale.

"De toute manière on ne peut rien faire alors..."

Elle lâcha un soupire de lassitude, sans pour autant se détourner de sa passionnante attention pour l'herbe devant elle.

"J'en ai juste assez d'avoir à me méfier de tout le monde, comme tu dis."

A nouveau elle releva la tête, inclinant son visage en direction de Beldan, sans pour autant relever les yeux entièrement.

"Toi aussi, peut-être que tu en as assez, non?"

Beldan fut légèrement ébranlé par la réponse agressive de sa soeur. Certes, il avait mérité ce ton, mais ce n'était quand même pas très agréable. après tant d'années d'existences, il se rendait compte qu'il ne connaissait pas vraiment les autres Butterfly... Pas en profondeur.

Elle se mit à jouer avec l'herbe. Son discours était désabusé et cela inquiétait le Butterfly. Puis, elle daigna cesser sa contemplation de l'herbe pour relever légèrement la tête vers lui et lui poser une question à laquelle il avait bien du mal à répondre. Ce fuit à son tour de détourner le regard pour fixer l'horizon qui se revêtait de couleurs chatoyantes alors que l'astre solaire émergeait de son repos nocturne.

- "Je ne sais pas... Quelques fois j'en ai assez de cette vie de fuite, à n'être qu'une ombre observant les autres vivre, vivant pas procuration. Et d'autres fois, je me dis qu'il y a toujours de l'espoir pour que nous trouvions notre place, sans plus jamais craindre les autres."

Il arracha un brin d'herbe plus gros que les autres et se mit à le machouiller, d'un air absent.

- "Je me dis aussi qu'unis, nous serions plus forts, au lieu de vivre seuls et d'être chassés séparément... Une race plus forte que les autres... Si seulement certains d'entre nous n'étaient pas si sanguinaires et inaccessible à la raison..."

Il ne mentionna pas de noms, mais il pensait aux butterfly A, D et E en particulier.

Le regard toujours baissé, du moins pendant les premiers mots, Gangrel étcoutait les propos de Beldan avec plus d'intérêt qu'elle ne semblait en montrer. Ce n'est que vers les dernières paroles qu'elle le fixait à nouveau, alors que lui avait détourné les yeux vers l'horizon. Comment expliquer la différence entre les membres d'une même race? Certains détestaient les humains, et ces derniers le leur rendait bien, mais pour ceux qui n'avaient rien contre leurs créateurs? C'était du moins son cas à elle, peut-être aussi Beldan?

"Pour nos frères et soeurs, être ensemble doit nous rendre trop repérables. Maisde toute manière, je ne veux pas être avec eux."

Encore cette manie de baisser les yeux, mais ce fut pour les relever l'instant d'après. De toute manière, à quoi bon s'obstiner à fixer l'herbe?

"Dis... Tu les déteste aussi?"

Il ne fallu que deux secondes à peine pour qu'elle réalise le rapport de sa question avec ses paroles précédentes. Elle s'empressa d'ajouter quelques mots.

"Les humains, je veux dire... Tu les déteste?"

Humain ou Butterfly, dans la cruauté, il n'y avait pas de différence après tout.

Le butterfly acquiesça sombrement aux paroles de Gangrel. Certes, il s'imaginait mal vivre avec Alcala, Dumah ou Ewan... Il ne partageait pas leurs idées et leurs méthodes... cela risquait de finir en bain de sang. Par contre avec Gangrel, cela semblait bien plus supportable, tout comme avec Faith. Quand à Chloé, elle ressemblait à une enfant innocente, mais aimait tuer aussi.

Il tourna violemment le regard vers elle quand elle lui demanda si elle détestait ses frères et soeurs. Elle se rattrapa vite et précisa qu'elle parlait des humains. Il allongea ses jambes devant lui, et posa ses mains derrière, rejetant la tête en arrière.

- "Si je les déteste? Oui, mais pas au point de vouloir leur mort. Je préfère les éviter. Mais pour le moment, tous ceux que j'ai rencontré ne valaient rien. Soit c'étaient des scientifiques fous, soit des petites frappes..."

Il se toucha machinalement la cicatrice entre ses yeux, alors qu'il repensait aux scientifiques qui l'avaient capturé voilà des années et qui lui avait ravi son amour... Non, il n'y avait rien de bon à les cotoyer... Sa main s'arrêta et il la reposa lentement derrière lui alors qu'il demandait :

- "Et toi? Les détestes-tu? AU point de souhaiter les tuer?"

Un peu surprise, elle avait eu un moment de recul lorsque le regard de son frère s'était brutalement tourné vers elle. Mais c'était normal après tout, non? Elle avait laissé supposer quelque chose qui aurait été blessant envers n'importe lequel de ses frères et soeurs, bien que ce ne fut pas son intention première.

La réponse n'était pas vraiment celle qu'elle aurait espérer et une nouvellefois elle détournait les yeux, vers le ciel à présent, distinguant les nuages qui relançaient encore quelques lueurs chaleureuses, donnant un aspect vivant au reste de l'environnement.

"Non, je ne les déteste pas. Ils me font juste un peu peur."

Machinalement, elle écarta une ou deux mèches sombre de son visage si pâle avant de fixer un autre point un peu plus bas, vers l'horizon.

"Je crois qu'ils nous en veulent. Un peu comme nous sommes censés leur en vouloir. C'est un cercle vicieux que je ne veux pas poursuivre."

Et à vouloir sans cesse se venger, tuer pour un but ou pour le plaisir, les autres buttterfly lui paraissaient bien souvent pire que les humains. Après tout jusqu'à maintenant, la seule humain qu'elle avait vu s'était montré gentille avec elle, même si elle était terrorisée.

Beldan jeta un regard pénétrant à sa soeur. Elle avait peur d'eux? Cela l'étonnait... Lui-même ne les craignait pas, pourquoi les aurait-il craint alors qu'il leur était tellement supérieur? Avec ses pouvrois, il était infiniment plus puissant que ces êtres pathétiques et éphémères. Il répéta les dernières paroles de Gangrel songeusement.

- "Un cercle vicieux que tu ne veux pas poursuivre... Seulement, si tu ne le poursuis pas, eux le feront..."

Puis, il se souvint de ce qu'elle avait dit juste avant :

- "Comme nous sommes censés leur en vouloir? Veux-tu dire que tu ne leur en veux pas? Après tout ce qu'ils nous ont fait?"

Il était incrédule, puis son expression s'adoucit.

- "Si vraiment tu ne leur en veux pas, j'avoue que je t'envie..."

Lui, il leur en voulait presqu'à mort. Ils les avaient crées, utilisés, sans aucune considérations pour leurs sentiments... Jamais, ils n'avaient vu les butterfly comme autre chose que des expériences. E tmaintenant, tout le monde leur en voulait parce qu'ils s'étaient enfuis et avaient voulu vivre leur vie, normalement et avaient amené la destruction sur une planète vierge d'humains...

Aussi gênée d'avoir parlé librement que coupable de ne pas avoir autant de haine à déverser, Gangrel rentra la tête dans les épaules, un peu comme une sale gamine pris en faute. Oh, elle sentait venir les reproches, les accusations, tous ces mots qui lui font l'impression d'une ridicule propagande, ccomme si vouloir faire du mal était naturel, comme si souhaiter vengeance était indispensable. Mais sa colère ne se tournait pas contre les humains, mais plutôt contre ceux qui l'avaient arrachée de force à cette vie qu'elle ne détestait pourtant pas, ceux qui lui avaient imposé cette évasion.

"Dès le départ, nous aurions dû mourir. Ils nous ont donné la vie et le puissance, pourquoi je devrais leur en vouloir? Parce qu'ils ont voulu savoir ce que notre espèce pouvait apporter à la leur? Je croyais que pour que tout aille bien, nous devions tous donner de soi."

Elle osa relever la tête, plus encouragée par l'adoucissement du ton de son frère. L'envier de ne pas avoir ce sentiment de colère était même plutôt étrange.

"Tu sais, je crois qu'en nous retournant contre eux, on leur a fait suffisemment peur pour qu'il veuillent nous détruire. C'est légitime, non?"

Elle le fixa un instant, puis détourna encore les yeux.

"En fait, je ne sais plus quoi penser."

Beldan ne répondit pas tout de suite. Il était surpris que sa soeur se livre ainsi à lui. Il n'en avait pas l'habitude.

- "J'espère que tu n'as jamais parlé ainsi à Ewan, Alaya ou Dumah."

Il émit un petit rire sans joie.

- "Non, évidemment. Sinon, tu ne serais plus là pour m'en parler."

Il s'interrompit et reprit d'une voix lente et hésitante :

- "Nous ne pouvions pas rester dans ce laboratoire comme des rats d'expériences... Nous avions le droit à une vive libre, une vie à nous! Jamais, ils ne se sont interrogés sur ce que nous ressentions!"

Sa voix avait prit un accent coléreux et il se calma ausitôt pour ne pas effrayer Gangrel.

- "Nous n'aurions jamais du faire un tel carnage en nous enfuyant... Ca été notre erreur et nous la payons plus d'un siècle et demie après."

Il eut un sourire ironique :

- "Discuter avec toi est épuisant moralement tu sais?"

Non, enne effet, si elle avait évoqué le sujet avec quelqu'un d'autre, elle n'aurait sans doute plus été en état de parler de quoi que ce soit. Mais depuis le temps qu'elle errait dans le silence, à craindre de devoir devenir différente, de devenir une bête comme certains humains... Ou comme certains de ses frères ou soeurs, ça lui était devenu insupportable. Peut-être prenait-elle des risques, mais il fallait bien quelqu'un à qui confier ses impressions ou elle allait devenir folle.

"Est-ce que nous, nous nous sommes interrogés sur ce qu'ils ressentaient aussi? Au laboratoire, pour ce que je m'en rappelle, ils ont été gentils avec moi."

Tests, examens, tortures, le temps lui avait fait oublier les peines, puisqu'elles étaient moindre avec le bien-être d'avoir une sorte de famille, des gens qui ne fuyaient pas en voyant la différence qu'avait apporté la mutation en Butterfly. Mais en même temps, c'était des pensées infantiles, et le pire, c'est qu'elle en avait conscience. Oui, elle s'attendait plutôt à ce que son frère lui crie dessus, la frappe ou lui manifeste du dégoût, mais rien ne vint, et ce fut avec une expression d'incrédulité qu'elle le fixait à nouveau. Puis lentement, un sourire apparu, pas un de ceux cyniques dont elle avait l'habitude, mais plutôt un sourire amusé.

"Désolée. De toute manière ce n'est pas important maintenant. Il vaut mieux ne pas se prendre la tête avec ce genre de réflexion inutiles."

Inutile, elle en avait la conviction. De toute manière, le monde ne changerait pas du jour au lendemain. Ils seront toujours crains ou traqués, quoiqu'ils puissent tous en penser.

Beldan lança un regard doux à sa soeur alors qu'elle parlait de leur enfance au laboratoire. Peut-être valait-il mieux qu'elle ne se souvienne que des bonnes choses... Cela expliquait peut-être pourquoi elle ne vivait pas dans la haine de cette race qui avait voulu jouer à Dieu... Finalement, il l'enviait. Il aurait voulu lui aussi oublier cette période de sa vie...

- "Tu as été entraînée malgré toi dans notre fuite... Si tu n'as jamais ressenti le besoin de changer d'air, il n'en était pas de même pour certains d'entre nous."

Il soupira et se passa une main dans les cheveux. Lui-même avait fortement désiré s'enfuir... Mais le prix à payer avait été trop lourd. Un massacre... Et il y avait prit part.

- "Ce qu'ils ressentaient? Je ne sais pas... Que ressent-on, quand on créer une nouvelle espèce, comme Dieu lors de la genèse? Ils nous utilisaient... mais je pense qu'ils devaient aussi avoir un peu peur de nous. Nous étions-et sommes toujours-trop différents..."

Son regard erra vers l'horizon où le seoleil achevait de se lever. Il ferait beau aujourd'hui... Il y aurait bientôt des mères et leurs enfants dans ce parc... Bientôt, ils devraient fuir...

- "Où habites-tu Maeva? Que fais-tu de tes journées?"

Il désirait changer de sujet. Il ne voulait pas rappeler à Gangrel ce qu'ils avaient vécu... Il ne voulait pas se le rappeler lui-même.

Elle promena une main sur l'herbe, sa paume prenant l'humidité de la rosée. Ce n'était pas désagréable, plutôt rafraïchissant, mais elle n'y prêtait à vrai dire pas beaucoup d'attention. Elle avait un faible sourire inexplicable, sans doute le soulagement de ne pas être insultée, attaquée, reniée comme l'aurait fait probablement un autre de ses frères. Elle avait encore relevé les yeux, sans avoir de sentiment de remords pour une fois.

"Je n'ai pas de demeure. Parfois, je dors dans des greniers où les gens ne vont plus. Le jour je me cache pour dormir, la nuit je me promène dans des endroits vides de monde. C'est plus prudent."

N'avoir que la nuit pour alliée, fuir l'éveil du soleil et les sortie de la plupart des humains, c'était une vie qui sans doute en aurait dégoûté plus d'un, mais étrangement, même si la solitude était lourde à porter, elle avait pris pour Gagnrel comme une impression de liberté et de pouvoir. Il lui en fallait peu pour être contentée, même si le temps lui faisait douter d'un quelconque avenir.

"Je suppose que tu as un endroit où demeurer en sécurité, non?"

Beldan éclata d'un rire sans joie. Un endroit où il était en sécurité. Quelle idée amusante vraiment... Un pareil endroit existait-il seulement?

- "J'ai bien des endroits où loger, mais aucun qui soit d'une sécurité absolue. Néanmoins, j'ai un logement en ville, dans les immeubles. Je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas le droit à un logement décent! Pourquoi devrais-je dormir dans des greniers ou autres endroits desaffectés? Là, j'ai mon appartement, ma cuisine, ma salle de bain, ma chambre!"

Son ton s'était un peu enflammé, alors que 'lindignation l'étoufait. Il avait le droit à tout cela et l'avait prit! Contrairement à Gangrel, il ne se sentait pas libre. On n'est pas libre quand on doit vivre en fonction des autres, là où ils ne sont pas. Il eut un sourire mauvais et ricana.

- "Mais pas besoin d'avoir un endroit en sécurité. Je plains ceux qui seraient assez fous pour venir me déranger."

Il n'y avait qu'Alcalia qui était plus puissante que lui. S'il avait été un fou sanguinaire, il aurait pu semer la terreur en ville sans problème. Télépathe et télékinésiste, il avait une force mentale impressionnante. Il n'avait aucun mal à terasser 3 adversaires en même temps. Evidemment, s'il y en avait une dizaine ou une vingtaine... Son expression s'adoucit, mais son regard demeurait ferme.

- "Je ne suis pas un tueur Maeva. Mais je sais me défendre. Et je n'hésite pas à tuer avant que l'on me tue ou capture. Plus jamais, je ne serais capturé."

Son regard s'était durcit et sa voix avait prit un ton farouche.

Gangrel considéra son frère un court instant, sans baisser les yeux. elle garda le silence quelques secondes puis reporta son attention sur le ciel. Quelque part, elle avait un peu peur de cette manière de penser. Quelque part, elle avait plus peur de ses semblables que de leurs ennemis désignés.

"Tu es donc prêt à perdre ta conscience pour une liberté physique?"

Elle releva les jambes, ses bras venant les entourer contre sa poitrine. La tête inclinée, elle posa la joue sur ses genoux, regardant en coin Beldan.

"Mais nous ne sommes pas libre, ce n'est qu'une illusion. Tu crains de perdre ce que tu n'as pas. Se cacher, tuer tout ce qui nous menace, ce n'est pas ça la liberté."

Un faible sourire mélacolique s'était dessiné sur ses lèvres. Lentement, elle ferma les yeux, comme plongeant dans ses pensées avant de les rouvrir.

"Il ne nous reste qu'une chose, notre bon sens. Mais il semblerait que même ça, nous laissions les humains nous l'enlever. C'est pour garder cette conscience que je ne tue pas."

Beldan jeta un regard perçant à sa soeur. Ses parles sonnaient justes, il devait bien le reconnaître. Mais tuer ceux qui le menaçaient ne lui posait pas de problème de conscience.

- "Gangrel... Je sais que je ne suis pas libre, mais je tue ceux qui voudraient m'enchaîner. Ouvre les yeux! Nous sommes pourchassés, Au mieux, on souhaite nous attraper, nous mettre en cage et nlus faire réactiver cette saloperie de portail, au pire, on désire notre mort. Et je passe les détails sur toutes les possibilités intermédiaires."

Son regard se durcilt légèrement alors que sa voix s'était animée.

- "Alors oui, je suis prêt à perdre mon humanité si on peut dire, si cela m'empe^che de me retrouver prisonnier. J'y ai été deux fois et cela me suffit. plus jamais on ne me mettra en cage. Plus jamais on ne s'en prendra à quelqu'un que j'aime!"

Une lueur farouche brillait dans son regard comme une promesse. Il fermla les yeux et quand il les rouvrit la flamme avait disparu, de même que sa colère.

- "J'ai toujours mon bon sens. Et il me pousse à ne pas ma laisser attraper. Je ne tues que lorsque cela est nécessaire Maeva. Ou quand je suis vraiment dans une colère noire. Pas autrement. Cependant, je comprends ton point de vue."

"Mais..."

L'emportement, même modéré et court, de son frère troubla considérablement la petite Maeva. Non, ses espoirs étaient futiles. Apparemment aucun membre de sa "famille" n'était prêt à déposer les armes. Certes, il n'y avait là que la simple envie de vivre, mais si personne ne fait le premier pas, comment ce combat finira-t-il? Les humains naissent, ils se reproduisent, l'espèce paraît sans fin. Et eux? Qui sait si leur immortalité à une fin? Ils sont limités dans leur nombre, limités dans leur fuite. Cette vie est vouée à s'achever par une mort plus ou moins pénible, mais ils ne pourront vivre éternellement de cette manière.

"Et si... Si on essayait d'ouvrir encore un portail? Peut-être que nous pourrions nous enfuir vers un autre monde encore. un monde sans humains, sans menaces."

Impossible, bien évidemment. Mais cette vie de fuite, cette vie où ses pensées ne correspondent pas à celles de sa famille biologique la rendent un peu trop isolée, un peu trop futile. Valait-il vraiment la peine de poursuivre cette vie-là?

Beldan regrettait de s'être emporté ainsi. Ce n'était pas contre Maeva, mais tout de même. Il n'aimait pas céder à la colère et c'était exactement ce qu'il avait fait. Sa soeur allait penser que lui aussi était irrécupérable! Mais peut-être avait-elle raison après tout...

Il la regarda gravement quand elle parla de rouvrir un portail et de partir, loin des hommes, loin de cette vie de misère. Il secoua doucement la tête en un signe de dénégation et de résignation.

- "J'ai l'impression que quoi que nous fassions, nous serons toujours à part..."

Il soupira.

- "Quand à rouvrir un portail..."

Il eut un petit ricanement amer :

- "Je te laisse le soin d'en parler à certains de nos frères et soeurs."

Et il savait que Maeva ne le ferai pas. Parce qu'on ne pouvait pas raisonner certains d'entre eux. Parce qu'il était presqu'impossible de les faire travailler tous ensemble dans le même but. L'individualisme primait sur le collectif apparemment. Les Butterfly n'avaient pas vraiment le sens de la famille... et cela causerait peut-être leur perte.

Quelle cynisme douloureux... Décidément il n'y avait plus d'espoir pour un avenir, pour une vie, une vrai, pas ce simulacre d'existence où seul les psychopathes en puissance prenaient du plaisir. Il ne restait donc plus rien, ni pour espérer, ni pour construire quoi que ce soit. C'en était tellement navrant... Aucun de ses fères et soeurs ne comprenaient donc l'étendue de ce désespoir?

"Alors, Beldan... Pourquoi on vit encore? Si c'est pour tuer et s'en justifer par notre souffrance passée, alors nous sommes encore bien pires que les humains."

Le ciel prenait les teintes de la matinées. Sous peu, le parc prendrait sa vie diurne avec ses promeneurs, ses familles, des gens qui eux avaient des espoirs, un avenir. Quelle tristesse! Peut-être ferait-elle mieux de s'arracher les ailes, de se faire humaine, ce serait encore là un bon moyen, devenir un de ces êtres qu'elle commençait à envier. Maeva se releva, portant son regard droit vers le ciel.

"Jamais je n'avais osé parler de ça avec un de nos frères ou soeurs... Mais peut-être que je devrait? Au mieux, ils comprendront, au pire, ils me tuerons. Mais dans les deux cas, le résultat ne pourra qu'être salvateur."

Beldan soupira à la réponse de Maëva. Tuer et s'en justifier par les expériences passées... Non, ce n'était pas ça. Elle se trompait.

- "Tu es trop idéaliste. Si tu ne te bats pas, tu meurs, c'est aussi simple que ça! Bon Dieu Maëva, tu ne vas pas me dire qu'en 180 ans d'existence, tu n'as jamais tué!"

Elle se leva alors et ses paroles firent l'effet d'une douche froide sur la révolte du jeune homme. Il se leva à son toure t se campa devant elle.

- "La mort n' est et ne sera jamais une solution. Même si elle est séduisante par moment."

Il était certain que beaucoup d'êtres à la longévité exceptionnelle avaient désiré mourir un jour ou l'autre, lors d'un moment de découragement ou de déprime. Lui-même y avait déjà songé. Mais jamais il n'était passé à l'acte. Il soupira et prit sa soeur par les épaules.

- "Si je n'arrive pas à te faire renoncer à ce projet..."

Il hésita. Ce qu'il allait dire risquait de l'engager vers une voie sans retour. Cependant, il continua :

- "Alors, je t'aiderais. J'irais avec toi, tenter de les convaincre."

Ou du moins, elle plaiderait sa cause et lui la protégerait. Seule Alcalia lui causerait vraiment du soucis, puisqu'elle était plus puissante que lui. Mais il ne pouvait pas laisser la trop douce Gangrel seule, avec eux.

Les premiers mots n'étaient pas tout à fait une question. En 180 ans, bien sûr, elle avait déjà dû tuer. Mais elle n'en retirait qu'un profond dégoût d'elle-même et des images qui venaient hanter le peu de rêves qu'elle osait encore faire. Quoiqu'il en soit, elle ne voulait plus vivre ainsi.

Mais les paroles que Beldan enchaîna fit lentement naître un regard d'incrédulité. Lui, l'aider? Et pourquoi donc? Comme évoqué précédemment, le sens de la famille n'était pas le point fort des Butterfly. Chacun pensait à sa propre survie, ou à son propre confort en se moquant pas mal de ses semblables, sauf lorsqu'il y voyait un avantage. Mais quel avantage pouvait-il bien retirer de sa survie à elle? Maeva n'en trouvait aucun. et peut-être aussi ne voulait-elle pas en trouver.

"Tu... Tu es sérieux?"

Si oui, c'était à la fois formidable et en même temps... Non, à deux face au reste de la "famille", les chances étaient bien trop maigre, et en plus, elle allait lui attirer des ennuis.

"Non, ce n'est pas une bonne idée, tu vas avoir des problèmes après. Il vaut mieux que je leur en parle toute seule."

Beldan s'amusa à voir les différentes émotions se succéder sur le visage de sa soeur. C'était très enrichissant et ça valait presque la télépathie. D'abord, il y eut l'incrédulité, ponctuée par un "tu es sérieux" impulsif. Puis, la réflexion et le doute. Pourquoi voulait-il l'aider? Enfin, elle refusa, pour ne pas lui attirer d'ennuis. Là, il éclata de rire. Des ennuis? Mais c'était elle qui allait s'y mettre jusqu'au cou! Il calma son hilarité et redevint sérieux.

- "Alors, déjà, oui je suis très sérieux. Ensuite, je fais ce que je veux et si je veux m'attirer des ennuis, tu ne pourras pas m'en empêcher."

Il eut un sourire espiègle, le faisant ressembler à un gamin.

- "Maeva... Je ne peux pas te laisser faire ça toute seule. Quelle tristesse que la plus sage des Butterfly soit la moins puissante."

Il soupira et se passa une main dans ses cheveux sombres avant de continuer :

- "Si je suis moins sage que toi, je suis en revanche plus puissant. Je te laisse les discours. Moi, je m'assurerais juste que tu ne te fasses pas attaquer."

Il prévint une question qui ne manquerait pas de venir par la suite.

- "Et si je fais ça, c'est parce que tu as raison. La violence ne mène à rien. cela n'a rien changé en 180 ans... Alors, je suis prêt à essayer ta méthode. Et puis, crois-le ou non, mais ça me chagrinerait que tu meures."

Il sourit à nouveau, pour masquer sa gène face à ce petit instant de sentimentalisme.

- "Ca te va comme raisons? Je suis embauché?"

Oh, il avait bien de quoi s'amusée. Cela faisait si longtemps que Maeva cogitait seule qu'elle ne voyait plus l'utilité de camoufler ses émotions ou ses pensées, sauf en compagnie de certains de ses frères et soeurs. Mais pour les plus puissant, elle devenait facilement aussi facile à saisir qu'un livre ouvert affichant résumant l'entier de son oeuvre en une selue page. Pauvre Gangral, si peu adaptée à la vie qu'elle s'était vue obligée d'adopter...

"Je... Je ne sais pas, ce n'est pas prudent... Acala pourrait te faire du mal, et si il doit y avoir de la brutalité, autant limiter les dégâts à une seule personne, non?"

Le sentimentalisme l'avait plus embarrassée qu'autre chose. Jamais elle n'avait envisagé du soutien, surtout pas dans des circonstances pareilles. C'était du suicide, elle en était consciente, mais c'était sa seule possibilité de se tranquiliser la conscience. Mais comment pourrait-elle retrouver de la sérénité en y mêlant son frère? S'il devait être blessé, ou pire, elle n'en aurait qu'un plus grand sentiment d'échac. Voilà bien des pensées égoistes, mais réaliste. Elle ne pouvait décemment pas accepter.

"Non, pas question. Si ça tourne mal, prend le parti des plus fort, je préfère avoir pu te toucher et que tu reste en bonne santé que t'embarquer dans cette histoire et te laisser risquer ta vie."

Elle secoua vigoureusement, reculant pour mettre de la distance. Hors de question, elle n'avait visiblement pas l'intention d'accepter.